Jacques-Antoine Granjon (vente-privee) et le Sens du client

Jacques-Antoine Granjon ne se distingue pas seulement par ses allures rock 'n' roll. C'est le patron d'un des plus grands sites d'e-commerce français et aussi un champion de la relation client.
Avant de lire son interview, vous pourrez prendre connaissance du classement des entreprises dans le domaine de la relation client -dominé par vente-privee en 2013-, dans le billet sur mon blog intitulé "le Prix des prix". Je vous invite à relire également son point de vue exprimé lors d'une soirée de remise de prix l'an passé, ainsi que l'interview que l'un de ses proches collaborateurs, Laurent Tupin (Directeur service membres) m'avait accordé en 2011, date à laquelle vente-privee était pour la première fois l'entreprise ayant eu le plus de prix et récompenses dans le domaine de la relation client.
En interviewant Jacques-Antoine Granjon, j'ai pu apprécier certaines de ses qualités : c'est un homme de convictions, un Président plein de bon sens et enfin un manager exigeant.
Elles transparaissent clairement dans l'interview qui suit :

Qui êtes-vous ?

Je suis avant tout un entrepreneur, et ai fondé le site vente-privee.com en 2001 avec mes associés. Nous avons inventé le modèle de la vente événementielle en ligne, qui vient de la mutation de notre métier d’origine, celui de soldeur. Nous avons juste utilisé Internet comme un outil permettant de monter un magasin virtuel, d’y proposer nos offres de déstockage, d’étendre l’offre à de nouveaux secteurs et de faire entrer dans ce magasin virtuel de plus en plus de monde. Dans l’e-commerce c’est le commerce qui prime : sans une offre forte, sans la recherche permanente de l’excellence opérationnelle, et une grande qualité de service, il n’y a pas de réussite possible.

Pour vous, qu’est-ce qu'"avoir le sens du client" ?

C’est simple : c’est servir les autres comme l’on aimerait être servi soi-même.
En fait, le digital a remis le client au centre et il veut désormais être servi comme s’il était client d une marque de luxe. Toute l’expérience de vente-privee est fondée  sur cette vision pragmatique. La clé de notre réussite, c’est que nous ne considérons pas le service client comme un coût, mais comme un investissement. J ai l’impression que trop d’entreprises raisonnement différemment. Que leurs managers  disent à leurs équipes « cette année vous avez répondu à un million d’appels, cela a coûté 3 millions d’euros, l’an prochain vous répondrez à 1,2 million d’appels et vous réduirez le budget ». Et cela, c’est gérer le service client comme un coût. Le gérer comme un investissement, c’est mettre à disposition tous les moyens afin de transformer un client mécontent en un ambassadeur de la marque.  Cela a un coût élevé mais c’est en fait la meilleure des communications pour votre marque. L’excellence opérationnelle est un objectif long coûteux et difficile, et tellement créateur de valeur sur le long terme.
Par exemple chez vente-privee  il n’y a pas de gestion prioritaire, tous nos membres sont traités de la même façon. Nos conseillers clientèles travaillent sans scripts, ce qui leur permet d’apporter des réponses personnalisées à chaque demande et de répondre au plus proche des attentes des membres. Le succès de vente-privee s’est bâti grâce au bouche-à-oreille positif, nous ne faisons pas de publicité traditionnelle. Il est donc primordial, si un membre est mécontent, de tout faire pour résoudre son problème.

Que pensez-vous de l’évolution de la relation client ?

La relation client à été bouleversée par l’Internet et les télécoms. Des millions de clients étaient facturés quelques dizaines d’euros pour des services essentiels. Les Français se sont alors sentis parfois  pris en otage d’opérateurs défaillants
La révolution digitale a replacé le client au centre, l’a rendu libre, informé, plus mature ; il a désormais accès plus facilement à la connaissance, au savoir. Il est donc plus critique, plus exigeant. Il utilise les réseaux sociaux pour se faire entendre.
La gestion low cost, le monde de la profitabilité et du court terme vont disparaitre. Attirer de nouveaux clients est la clé, un client qui entre dans votre boutique, physique ou virtuelle, c est un petit miracle. Nous sommes dans un monde ultra connecté où  les offres du monde entier arrivent directement sur votre smartphone ; baguette magique via laquelle on peut commander un produit à l’autre bout de la planète. Dans cette compétition mondiale sur une surface de 5cm², l’excellence du service au client est essentielle pour créer la confiance et faire revenir les clients : c’est un investissement sur le long terme. Les futurs dirigeants auront conscience que s’il n’y a pas de bon service, ils n’auront plus de clients.

Avez-vous une anecdote, une histoire de client remarquable ?

Il y a une dizaine d’années, lors d’une vente événementielle d’accessoires de loisirs, une cliente a acheté deux paires de rollers avec une dizaine d’accessoires disponibles, toutes les protections, des outils, des roues, etc... Quelques jours après la vente elle nous contacte pour nous signaler qu’elle n’a reçu… que les accessoires ! Et pas de rollers!  Nous nous posons la question de savoir comment cette erreur avait pu avoir lieu afin d éviter qu’elle se reproduise. Je décide de l’appeler personnellement pour lui dire qu’elle a 100% raison d’être mécontente. Elle habitait Marignane, et comme je sentais qu’elle était assez pressée, je lui ai proposé d’aller dans le magasin d’équipements sportifs le plus proche pour acheter les rollers de son choix et de nous envoyer ensuite la facture.
Il faut être transparent, expliquer les choses au client, car il pardonne les erreurs. En revanche, on ne peut pas se permettre de répéter les mêmes erreurs, il faut se remettre en question en permanence et ne cesser d’innover pour satisfaire toujours plus nos membres.
C’est notre philosophie de la relation client : la relation incarnée. Un individu concerné et responsable qui communique avec un client contrarié. Quand il n’y a pas de sincérité dans votre relation client, dans votre volonté de résoudre les problèmes, peu importe les moyens que vous mettrez en œuvre pour satisfaire les demandes, cela ne marchera pas.
Mon associé Xavier Court, tout comme notre Directeur du Service Relations Membres, Laurent Tupin, sont d’une grande sincérité. Il leur arrive encore régulièrement d’appeler des clients, ils adorent ça !

En bonus, je vous propose quelques point de vue de Jacques-Antoine Granjon récoltés pendant notre longue conversation.

A propos du bouton SOS d'Amazon auquel j'avais consacré un billet il y a quelques mois : 
Jacques-Antoine Granjon : le bouton SOS d’Amazon, c’est un outil de service très ingénieux. Mais Amazon ne se bat pas avec les mêmes règles fiscales, ils profitent légalement des différentes fiscalités  entre les pays d'Europe pour réduire leur imposition et de ce fait, réaliser des investissements plus importants, accélérer leur développement, embaucher plus de talents... Je paye mes impôts en France, et mon  entreprise réalise 80% de ses ventes en France. Si je payais moins d’impôts, je développerai immédiatement mes services.

A propos de l'ambition de Vente privée :
Jacques-Antoine Granjon : Le point de rencontre aujourd’hui c’est le smartphone, c’est la baguette magique du commerce.  Tous les produits du monde sont accessibles sur 5cm2. On est dans le virtuel total.
Quand a lieu l’incarnation, le retour à la vie réelle ? C’est tout d’abord lorsque l’on reçoit le colis. La deuxième incarnation c’est quand le membre rencontre un problème et contacte notre service client. C’est la seule source « humaine » de contact dans le e-commerce, aussi il est primordial que les conseillers clientèles adhèrent et véhiculent l’ADN de notre entreprise. Troisième incarnation : la communication en résonance, tout ce qui à trait à vente-privee et fait parler de la marque : des entrepôts roses en bordure d’autoroute dans un monde gris, des architectes qui font de belles choses pour nos bureaux. acheter des théâtres… c’est aussi ça créer de l’émotion. La communication de vente-privee est une communication en résonnance, innovante et virale qui permet de nourrir l’image.

A propos de l'avenir et de ses enjeux :
Jacques-Antoine Granjon : L’avenir est au commerce connecté, le click ON mortar. Aujourd’hui, le client est roi, il a le choix. Il peut changer de boutique en un clic. Il peut aller comparer les prix. Il peut faire résonner ce qu’il pense sur les réseaux sociaux. Il est libre ! Les commerçants doivent se réadapter à ce client informé  Dans le futur, je pense que 80% du chiffre d’affaires se fera en magasin et 20%  sur Internet, car les consommateurs préfèrent aller en magasin. Pour réaliser ces 20% sur Internet, les entreprises devront investir, notamment dans la relation client. Le commerce digital est devenu mature et les clients pardonnent moins le manque de professionnalisme.

A propos du management de Zappos (lire l'article du Journal du net à ce sujet) :
Jacques-Antoine Granjon : Zappos est allé plus loin dans l’horizontalité, avec un autre actionnaire, avec d’autres règles. Ils ont raison d’horizontaliser. Mais c’est plus facile en théorie que dans la réalité. Il faut de l’intelligence humaine. Les américains savent exécuter, les français réfléchissent à l’ordre qu’on leur a donné. Il est difficile de faire évoluer l’organisation dans ce sens. Il faut une chaine de management extrêmement puissante.