Quand un philosophe (Vincent Cespedes) nous parle de relation client.

Vincent Cespedes, philosophe et auteur du récent livre "L'ambition ou l'épopée de soi" intervenait lors de la récente édition des Talents de la relation client de l'Académie du service à laquelle j'ai assisté comme animateur d'une table ronde.
Ma seule crainte était d'avoir à écouter un discours de plus d'un philosophe déconnecté. Ce fut tout le contraire, et j'y ai trouvé un propos en résonance avec ce que je vois et ce que j'apprends tous les jours au contact des meilleurs professionnels de la relation client.

Plus le monde devient digital, plus le réel gagne en importance.
Très inspiré sur le sujet de cette rencontre (Le service à l'heure du digital), Vincent Cespedes rappelait en introduction que cette problématique du service à l’heure du digital, c’est tout simplement celle de l’humain et de la technologie.

Il soutient l'idée que moins il y a de réel dans le métier, plus il y a le digital, et plus le réel gagne en valeur.
Pour lui, le réel va devenir "le fruit d’une expérience unique". Dans les métiers aujourd’hui c’est le réel qui devient rare, mais il faut s'attendre à ce que ce "la magie" se déplace dans les cinq ans à venir pour aller dans le réel. La différence ne sera pas dans les "super applications" qui s’améliorent sans cesse, mais elle se fera dans quelque chose qui s'opère sur le long terme, et dont la clé est la complicité (un de ses thèmes favoris). La différence se fera avec la formation des vendeurs, la formation de ceux qui sont en place, face au client. Ce point de vue me réjouit et me fait penser à celui que je développais dans mon billet "D'un magasin pour les clients à un magasin avec les clients".

Télécharger de l'émotion
Vincent Cespedes affirme que le réel devenant rare, le but du jeu c’est l’émotion, c'est le fait de faire vivre une expérience extraordinaire aux clients.
Sur ce point, le philosophe rejoint le consultant (Eric Falque) et ses propos dans son livre "Les paradoxes de la relation client dans un monde digital", sorti il y a deux ans et que j'avais qualifié d'indispensable.

A propos d'émotion, il y a selon Vincent Cespedes deux façons d’aborder le problème, deux façons de télécharger de l’émotion :

  1. La première, qu'il n'aime pas, c’est la façon manipulatrice. Ce point fait écho à un chapitre de son nouveau livre à propos de ce qu'il appelle l'ultraconfiance, celle que les marques, telles le serpent Kaa dans le Livre de la jungle (je cite l'auteur, j'adore ses images !), "exigent d'emblée de leurs clients-proies, en plus de leur argent, une confiance infondée".  Revenons à sa conférence : il nous décrit un client qui sort ému de sa rencontre réelle, à qui on a grévé son expérience d'émotion, de beau, de paillette. "Son petit cœur s’ouvre" et il ne peut plus se passer du produit miracle. Vincent Cespedes prétend que l’être humain ne fonctionne pas du tout comme ça parce qu'on ne peut pas remplir le cœur d’une émotion, on ne peut pas y "télécharger de l'émotion en appuyant sur un bouton" ou par des process. Le philosophe évoque la publicité des années 80 qui jouait sur la culpabilité -"si tu n’achètes pas tel produit, tu es nul"-, et sur le chantage -"si tu veux faire partie de la communauté, tu dois obtenir ce produit ou ce service"-. Il observe et nous met en garde sur le fait qu'arrivent ces leviers aujourd’hui dans la relation client : on met la pression au client, on met la pression aux collaborateurs. Reprenant sa fameuse formule, il dénonce la croyance tenace en France de "l'onde de choc" comme seule façon de mobiliser, à opposer à "l’onde de charme" si peu utilisée en management des entreprises.
  2. La seconde manière de télécharger de l’émotion, peu exploitée aujourd’hui selon lui, c’est une motivation qui est fondée non pas sur cette fameuse et détestable onde de choc mais sur ce qu'il appelle la réserve énergétique présente dans l’entreprise, celle qui nous motive tous. Dans cette "autre chose" on a deux pertes et deux gains :
    • Une perte d’équilibre (à la différence de la pression, celle avec laquelle on reste finalement dans le confort du contrôle, le confort du cadrage quand on dit "ça file droit") : quelque chose qui vous motive à tel point que vous devenez un peu déséquilibré.
    • Une perte d’objectivité, parce qu’il y a de l’émotion dans la relation. Avec l’émotion on ne peut pas contrôler les personnes de la même façon.
    • Un premier gain qui est l’augmentation de la connaissance. "Je veux apprendre et ne jamais finir d’apprendre, je veux être ultra-performant." Le vendeur d'électroménager capable de parler par exemple de risotto aux cèpes, et donc de partager ses centres d’intérêt, sera fatalement beaucoup plus intéressant. On peut valoriser ce qu'il nomme "la patine humaine", et non le robot qu’Internet incarne. On peut aussi apporter de l’humour, ce qui n’est pas possible avec les robots. Mais on doit éviter d'être dans le "bagou à l’ancienne", car toute la génération nouvelle ne supporte pas du tout d’être manipulée.
    • Le second gain est celui de la contagion. Le philosophe invite à la ferveur, à l’enthousiasme qui s'exprime ainsi : "Je partage quelque chose et je deviens immédiatement contagieux". Cela se traduit par le ton employé dans la relation, le non verbal. Si on n’y croit pas, la conséquence est que la voix, comme le comportement général deviennent métalliques. Il invite à casser les process tout faits, l’important étant selon lui de "sortir du métal, d'avoir le rire dans l’œil".

Vincent Cespedes prétend que l’onde de charme sera la valeur pour tout. C’est un pari sur lequel il faut miser, une vérité qui s’énonce dans la passion.

Parier sur l'humain
"Il est urgent de revoir les classifications traditionnelles alors que nous sommes à l’heure du digital" selon lui. Il nous rappelle que les générations ne sont plus les mêmes, les clients ne sont plus les mêmes, .
Il développe alors ce qu'il appelle "le coaching authentique", en prenant l'image du champion de boxe vis-à-vis de son élève, qui se base sur l'écoute, le partage de passion et le plaisir à monter sur le ring. Il cite Mike Tyson "Rien de plus mortel qu’un boxeur heureux".
Il faut donc revoir le coaching des vendeurs vers les clients.
Le réel restant dans les métiers du service, le client va vouloir en tirer une expérience pour se plonger dans l’émotion. Il évoque comme exemple de forte émotion son exemple de vendeur et sa recette de risotto aux cèpes que je trouve vraiment pertinent. Cet exemple, comme je lui disais après son intervention, me fait penser aux magasins Weldom qui affichent le portrait chinois des vendeurs, leurs centres d'intérêt personnels et professionnels. C'est la voie à suivre !
Vincent Cespedes nous dit : "Donnez des cours à vos clients, c’est la vraie expérience". Le client saisira la plus-value : il pourra s’élever, apprendre, apprendre le savoir-faire ; ce qu’il ne peut pas faire sur Internet car la passion ne s'y transmet pas comme cela. "La transmission émotionnelle atteint son sommet quand je te donne une connaissance que j’ai et que tu n’as pas." La complicité (dans le sens de "se mettre dans les plis de l’autre") provoque ce qu'il nomme "un bug" dans la présence elle-même. Lorsque je suis sur place, je ne suis plus seul, je suis peuplé, rempli de tous ces professeurs qui m’ont appris à me comporter, à ouvrir les yeux.
Parier sur une vie plus intense, ce n’est pas une vie où l’homme est robotisé et où les relations sont manipulatoires, c’est parier sur l’humain, sur l’impondérable qui est lié, parier sur "la générosité offerte d’une présence". Le pari sur la passion peut être conjugable avec un soupçon de dignité dans la relation client. Les clients vont chercher une part d’eux-mêmes qu’ils ont oubliée, une part de leur enfance.
Les clients vont chercher du bonheur de vivre, du bonheur de partager.

Retrouvez le compte rendu complet de son intervention (dont je me suis inspiré) et une interview sur le blog de l'Académie du service "Cultures services", et commandez si vous le souhaitez son dernier livre "L'ambition ou l'épopée de soi" dont je me régale en le lisant.
Retrouvez également Vincent Cespedes sur son site personnel.