Les futurs possibles de la relation client en 20 enjeux

"On surestime toujours le changement à venir dans les deux ans, et on sous-estime le changement des dix prochaines années. Ne vous laissez pas bercer par l’inaction." nous dit l’ancien patron de Microsoft, Bill Gates. Dans le domaine de la relation client, le meilleur conseil qu’on puisse donner aux professionnels est de rester éveillé. Cet avertissement semble salutaire au regard des multiples changements qui s’opèrent dans notre métier chaque jour et qui nous attendent dans les prochaines années.
Pierre Volle, Professeur de marketing et Customer management à l'Université Paris Dauphine et Président de l'Association Française du marketing m'a demandé d'écrire une conclusion à la 4ème édition de son livre Gestion de la relation client. Cette conclusion est un exercice d'imagination du futur de la relation client dans lequel j'ai essayé d’aborder les conséquences à travers 20 enjeux. Je vous la livre aujourd'hui sur mon blog.


  1. L’enjeu métier. Il sera de plus en plus difficile de faire du marketing. Le marketing, dans le sens littéral, est le fait d’avoir une action sur un marché. Avant même de penser à gérer sa relation client, il faut construire son mix marketing, bâtir sa marque, définir ses segments, connaître son marché, autant d’actions indispensables qui prenaient autrefois du temps et qui garantissaient des investissements pérennes.  On sait que ce n’est plus le cas et que les années qui nous attendent se caractériseront par l’incertitude des marchés, la rapidité de leurs changements et la volatilité des clients. Pour aborder la relation client, il faudra considérer cette tendance comme le principal prérequis.
  2. L’enjeu d’organisation. Les disciplines convergeront au sein des organisations. Sous l’effet de la croissance et de la circulation des données, plus aucune direction de l’entreprise ne sera propriétaire du client. Chacun possédant une vision partielle du client, et par la complexité des organisations calquées sur un mode de fonctionnement hérité d’une vision dépassée du marketing, il sera impératif de mettre en commun ses ressources pour agir.
  3. L’enjeu d’investissement. La réaffectation souhaitable des investissements. Le parcours du client et ses innombrables points de contact gagnera en cohérence, à mesure que les budgets de différente nature alloués au client (publicité, promotion, formation des collaborateurs, outils de gestion de la relation) seront mis en commun et en cohérence avec le positionnement de la marque. C’est l’enjeu du parcours du client qui n’attend que la prise de conscience des dirigeants d’entreprise : les investissements pourraient bien être réaffectés selon les moments de vérité du parcours du client alors qu’ils continuent à suivre des schémas d’investissement éculés.
  4. L’enjeu de ciblage. Nous serons de plus en plus pointus. A condition de savoir faire parler les données innombrables et de nature différente, la connaissance des mouvements du client va s’accroitre. Aux données caractéristiques et comportementales du client, s’ajouteront de plus en plus les données sociales et les données de localisation. La cible sera de plus en plus connue mais elle sera de plus en plus mouvante. 
  5. L’enjeu de connaissance. Nous serons de plus en plus intelligents. L’étude des données passives disponibles provenant de différentes sources fournit d’ores et déjà un réservoir d’ «insights » considérable pour la connaissance des clients. A condition de savoir ce qu’on recherche, et quel en sera l’usage, les professionnels du marketing client mettront de plus en plus à profit les données disponibles pour améliorer la relation client. Ceux qui sauront faire parler les données client auront la capacité de diffuser la connaissance au sein de leur entreprise ou leur organisation. S’ils savent en faire des synthèses adaptées, ils pourront facilement partager avec leur entourage proche ou lointain toutes les données utiles à chaque métier.
  6. L’enjeu d’action. Il y aura de plus en plus de façons de toucher le client. On imagine aisément que les années qui viennent vont nous offrir d’improbables innovations technologiques. Nouveau media social, terminal connecté, moyen de paiement inédit, outil publicitaire ingénieux : qui peut dire quelle nouveauté fera son apparition dans les prochaines années dans la vie du client ?  Une seule certitude : Internet va enrichir le quotidien des clients par le biais de nouveaux terminaux, par la voie de nouveaux objets connectés qui offriront de nouveaux points de contact.
  7. L’enjeu de fiabilité. Il faudra garantir au client la sécurité de ses données. Aujourd’hui, le client enrichit le monde de ses données sans compter et, sous l’effet de failles à prévoir dans les innombrables systèmes interconnectés, par l’action de nouveaux pirates ou d’entreprises trop curieuses, les données deviendront de plus en plus sensibles. Les données client prendront de la valeur à mesure que les clients réaliseront que certains en feront le commerce et que leur diffusion aura des conséquences potentiellement négatives sur leur vie. 
  8. L’enjeu de disponibilité. Nous devrons assurer la synchronicité des données. Qui dit relation client synchrone, dit données disponibles à tout moment, partout et pour tous. Clients comme collaborateurs auront besoin d’une mise à disposition et d’une mise à jour en temps réel de leurs données pour garantir un service fluide et sans coutures. Ce sera une des conditions d’une relation client réussie par un traitement égal quel que soit le canal utilisé par le client et quel que soit l’interlocuteur.
  9. L’enjeu de personnalisation. Le sur-mesure sera la norme. On peut imaginer que dans les années qui viennent nos terminaux personnels qui nous accompagneront ou bien les espaces qui nous seront dédiés en tant que client soient complètement personnalisés. Les clients s’attendront à retrouver leurs préférences, leur historique, leur profil complet quel que soit le moment ou le lieu de leur connexion. Ils attendront de leurs interlocuteurs dans la relation client d’avoir une connaissance autre qu’empirique d’eux-mêmes.
  10. L’enjeu de contexte. La relation client sera du voyage. A mesure que le client s’identifiera en situation de mobilité, il s’attendra à ce que les fournisseurs qu’il aura choisis ou qu’il jugera utile dans son parcours à un instant précis s’adressent à lui en fonction de sa position géographique, de son contexte. Il exigera des informations adaptées à son environnement immédiat et à sa trajectoire : des offres au bon moment, à la bonne personne et au bon endroit en quelque sorte…
  11. L’enjeu de célérité. La relation client à grande vitesse. Il faut imaginer que les années qui viennent vont nous offrir des vitesses de connexion accrues, des terminaux personnels encore plus puissants. La prime sera donnée aux organisations qui fourniront au plus vite la bonne information et le chemin le plus rapide pour solutionner les problèmes des clients.
  12. L’enjeu du choix. Connaitre les limites de l’intimité. Un des paradoxes de la relation client devra être adressé avec soin : le besoin d’une plus grande personnalisation aux nombreux bénéfices et l’aversion pour l’intrusion toujours croissante. Il touchera à la fois des clients désireux de préserver leur intimité en permanence ou à certaines occasions. La seule façon de le garantir sera de laisser le choix au client, facilement, respectueusement.
  13. L’enjeu de l’autonomie. Vers un client affranchi. Un client de plus en plus mature, aguerri aux technologies, sur-informé, et privilégiant l’usage à la possession voudra gagner en autonomie et s’affranchir des contraintes. Les entreprises devront accepter de laisser la main à son client, ou tout au moins lui donner tous les moyens de résoudre son problème ou satisfaire son besoin seul ou en groupe. Cela impliquera de mettre à sa disposition des moyens (données, options, services) et de lui permettre d’agir sans entrave. Plateformes d’entraide, co-construction et crowdsourcing n’en sont qu’à leur balbutiement. Le futur promet d’offrir au client des ressources pour gagner en autonomie et il pourrait bien récompenser les entreprises qui n’entravent pas son désir d’affranchissement.
  14. L’enjeu de transparence. Le prix de la confiance toujours plus élevé. Il sera de plus en plus facile de savoir l’origine de toute initiative, le CV des dirigeants, le profil des actionnaires, la composition des produits, l’impact environnemental ou la politique sociale d’une entreprise. On pourrait bien voir un jour prochain un « wikileaks » des entreprises. Que ce scénario catastrophe arrive ou pas, il sera toujours plus difficile de faire face à un client en situation de défiance à priori dans la relation. Pour favoriser un regain de confiance, les organisations devront faire preuve d’exemplarité pour être crédibles et gérer l’impératif de transparence qui s’impose à elles.
  15. L’enjeu de la mesure. Quelles nouvelles mesures dans le futur ? Après la satisfaction, l’engagement, la recommandation avec le NPS, la mesure de l’effort client avec le CES (Customer effort score) quel nouvel indicateur plus fin et plus pertinent viendra enrichir les métriques de l’entreprise ? L’enjeu des professionnels sera toujours d’inscrire ces mesures dans la durée, les partager et garantir leur caractère actionnable.
  16. L’enjeu de collaboration. Permettre au client de participer à l’amélioration de l’offre. La tendance de l’ « open innovation » ne fera que s’accentuer à mesure que les outils collaboratifs seront de plus en plus simples et de plus en plus populaires. Le cycle de l’innovation en sera bouleversé, charge aux entreprises de gérer ces nouvelles pratiques et en tirer le meilleur bénéfice possible. Les outils d’impression 3D n’attendent que les notices des entreprises, les clients les plus passionnés se verront offrir des moyens de participer à l’amélioration des produits qui leur seront proposés et leur professionnalisation pourrait bien susciter des vocations.
  17. L’enjeu de l’expérience. Des marques plus fortes dans la relation. Les entreprises peuvent s’attendre à une montée des exigences chez les clients et l’avenir pourrait bien donner raison à ceux qui consacreront leur énergie à faire vivre une expérience unique à leurs clients. Avoir une marque forte ne suffira plus, il faudra accentuer ses marqueurs, faire en sorte que la signature soit perceptible et provoque des sensations, des émotions et des souvenirs mémorables quel que soit le point de contact.
  18. L’enjeu de la voix du client. Vers une plus grande maturité dans la gestion. L’expression du client devient plus fréquente, il hésite de moins en moins à donner son avis pour partager son mécontentement ou sa satisfaction grâce à cette caisse de résonance qu’est devenu Internet. L’UGC (User generated content) pèsera de plus en plus lourd sur le choix des clients et la tentation de manipulation de cette matière première par les entreprises ne résistera pas au besoin de conseils venant d’autres clients. Plutôt que de laisser leurs clients s’exprimer hors de leurs murs, les entreprises devront offrir des garanties pour que la collecte, la modération et la restitution des avis consommateurs se fassent avec des règles claires et transparentes. 
  19. L’enjeu de management. Un vent de liberté soufflera sur la relation client. Principal reproche fait aux collaborateurs en contact avec le client par les clients eux-mêmes : le manque d’autonomie et la capacité à s’affranchir des règles pour satisfaire le client (source Les Français et les Services 2013/2014 Académie du Service). C’est le plus grand défi des années à venir pour les entreprises car il s’agit sur la liberté qui est donnée aux collaborateurs. A mesure que la relation humaine se fera plus rare et à plus fort enjeu, les clients attendront de leurs interlocuteurs qu’ils aient le pouvoir d’improviser et de décider (seules conditions pour générer le fameux enchantement relationnel et surprendre son client). Les nouvelles générations de salariés réclameront plus d’autonomie dans leur travail et voudront s’exprimer au nom de l’entreprise sur les médias sociaux. Sous l’effet de ces deux tendances (un client qui veut des interlocuteurs autonomes et des collaborateurs ayant soif de liberté), la relation client promet de s’enrichir et les managers qui n’en prendront pas conscience risquent de générer des frustrations de part et d’autre.
  20. L’enjeu de symétrie des attentions. Un effet miroir grandissant. Les schémas de management vont fatalement évoluer avec les attentes des salariés. Qu’on les appelle Millenials ou génération Y, leur façon de collaborer imposera à l’entreprise de mesurer leur satisfaction et garantir leur bien-être. Ils s’exprimeront de plus en plus à propos de leur entreprise et favoriseront le décloisonnement avec la croissance des réseaux sociaux d’entreprise. Prendre soin d’eux, c’est prendre soin des clients car on ne sait reproduire un comportement ou une attention que si soi-même on en a été l’objet.

Le temps du marketing traditionnel et de la relation client sagement cadrée n’est pas si loin de nous. Pour ceux qui l’ont pratiqué ou ceux à qui on l’a enseigné au cours de leurs études récentes, les bonnes recettes ou les leçons apprises ne sont déjà plus au goût du jour. Et pourtant, alors qu’il ne se passe pas un mois sans qu’un nouvel acronyme, un outil innovant, un extraordinaire terminal ne détrône le précédent, le bon sens et l’audace gagneront en valeur et en impact.
C’est sur deux aptitudes à préserver ou développer que je voudrais conclure cet exercice prospectif. Tout d’abord l’indispensable agilité, car nombreux sont les professionnels de la relation client qui ne manquent pas de talent ni d’ambition pour leur marque, leur enseigne, leur organisation et leurs clients, mais qui butent sur la sclérose de leur environnement. Souvent, ces audacieuses et ces audacieux sont ralentis par la lourdeur de leur organisation et de leurs infrastructures. L’avenir est à l’innovation, à l’esprit d’entreprendre pour faire des expériences nouvelles, apprendre à agir différemment, en dehors du cadre.
Ensuite rien de moins que le goût de l’humanisme. Placer l'homme et les valeurs humaines au-dessus de toutes les autres valeurs est la garantie d’une relation client pérenne, quel que soit notre futur, ses incertitudes et ses progrès. La relation client n’est que la rencontre entre des hommes et des femmes qui travaillent ensemble à améliorer notre quotidien.

Cette conclusion ne représente que cinq pages sur les 473 que compte le livre Gestion de la relation client aux Editions Pearson. Vous pouvez le commander en suivant ce lien.