IRRITANT : l'obsolescence programmée du client

Mon sèche linge Bosch Maxx 6 Sensitive s'arrête tout seul, c'est l'occasion pour moi de m'intéresser à un sujet qui alimente les débats ces jours-ci : l'obsolescence programmée des produits et ses conséquences.

Le sujet est dans l'actualité de cette rentrée, avec l'examen du projet de loi consommation au Sénat, où il était prévu de rendre délictueux "l'ensemble des techniques par lesquelles un fabricant ou un importateur de biens vise, notamment par la conception du produit, à raccourcir délibérément la durée de vie ou d'utilisation potentielle de ce produit afin d'en augmenter le taux de remplacement".
L'amendement a finalement été rejeté, les lobbies des industriels auraient été plus forts, pensent certains.

L’obsolescence programmée serait née de la multiplication des innovations et des sorties sur le marché de produits en forte croissance. Ce n'est pas un concept nouveau pourtant, celui-ci daterait des années 1920 aux Etats-Unis. Les produits dureraient moins longtemps, et leur durée de vie serait programmée par les constructeurs, dans un "stratagème visant à réduire cette durée d'usage pour des raisons de modèle économique" (je cite la commission d'une ONG) .

Dans son rapport de 2012 (dont sont issus tous les chiffres de ce billet), l'Ademe estime la durée de vie d'un lave-linge entre 9,9 et 22 ans (selon les études, 1 000 à 5 000 cycles de linge). La durée d’usage totale s’échelonnant de 2 à 30,8 ans, avec une moyenne de 10,1 ans en France (source GIFAM TNS-Sofres).
Selon d'autres études citées dans le rapport, les attentes des consommateurs en termes de durée d’usage de leur machine à laver se trouvent entre 5 ans et 12 ans.
Cette durée d'usage est de plus en plus courte aux yeux des consommateurs, notamment pour certaines catégories comme les smartphones ou les téléphones (qui sont victimes "d'obsolescence esthétique", illustrée par la fameuse phrase que vous avez du entendre ou dire "mais dis donc ton Nokia, c'est une antiquité !").

Le client en panne de solutions
Revenons à ma panne de sèche-linge et les solutions possibles.
L'appareil date de 2008, nous nous disons avec mon épouse que 5 ans c'est un peu court, et comme de nombreux consommateurs, "le faire réparer coûtera aussi cher que d'en acheter un neuf" (un argument imparable des vendeurs d'électroménager). Pourtant, TNS Sofres et GIFAM nous apprennent que dans 40 à 50% des cas -estimation basse-, les appareils "sont remplacés alors qu’ils sont encore en état de fonctionner ou qu’ils seraient techniquement réparables", une situation qui va devenir irritante pour les consommateurs touchés par la crise.
C'est, selon le rapport remis à l'Assemblée Nationale, le cas de "l’obsolescence de service après-vente, qui suggère que le consommateur sera plus enclin à racheter un produit plutôt que de le réparer, en partie à cause des délais de réparation et des prix."
L’étude ADEME révèle en outre une baisse de l’activité de réparation des produits blancs (électroménager) en France entre 2006 et 2009. Cette baisse serait due à la fiabilité accrue et à l'impossibilité de réparer du fait de la complexité du produit. On retrouve ici une conséquence du progrès technologique génératrice de frustration pour le consommateur : les produits sont trop difficiles à réparer.

Face à cette situation, j'ai le réflexe de taper dans mon moteur de recherche "Mon sèche linge Bosch Maxx 6 Sensitive s'arrête tout seul" et j'obtiens de nombreuses réponses, ce qui me donne un espoir de le réparer moi-même et me faire me sentir moins seul face au tas de linge mouillé.

Un faux avis sur mon sèche linge
Je commence par l'avis d'un consommateur sur le site Ciao qui commence ainsi "Que dire de ce sèche linge à part magnifique ! Que ce soit du point de vue design ou performances, ce sèche linge est tout simplement parfait". Je me dis que j'ai bien fait d'avoir eu un jour l'idée de faire une norme pour les avis consommateurs (lire mon billet), car cet avis devrait figurer dans le misérable panthéon des faux avis. Je soupçonne l'auteur d'avoir un lien avec le constructeur et de ce fait, la marque à l'image si fiable perd de sa crédibilité à mes yeux. Rappelons en passant que les avis sur l'électroménager constituent le contenu le plus consulté par les français (selon une étude Testntrust/Esypanel), devant les hôtels et les restaurants !

A la recherche de clients comme moi
Je me rends ensuite sur le site Apreslachat, et je trouve 241 membres de la communauté identifiée avec ce produit en leur possession et un problème identique pour certains (c'est mon expérience du crowdsourcing, en français le collaborat). La panne de mon sèche linge est identifiée, comme sur les forums de experts-univers où je trouve 15 réponses pour ce problème.
Mais quand j'arrive à la réponse du membre "Patto", dont je vous livre un extrait : "après nettoyage côté gauche, démontage côté droit, pompe et flotteur ! Retirer les embouts bleu (pompe) gris (flotteur), vis maintien du cache plastique, démonter ressort de tension grande courroie, sortir des poulies de la grande et de la petite courroie, démontage des connecteurs du bloc de droit avec retrait du support, démontage support de tension des courroies...", je m'assois dans ma cuisine et je pleure sur ma triste condition de client incompétent.
C'est à ce moment que je pense à me rendre tout simplement sur le site du constructeur pour m'apercevoir que les sites de marque sont des sites merveilleux, dignes du monde des Bisounours, où d'une part mon modèle n'existe plus et où les pannes possibles de sèche linge recensées ne sont pas nombreuses d'autre part (je ne citerais comme source de panne que la délicieuse "coupure de courant").
La ligne téléphonique du service consommateur -quant à elle-, est ouverte du lundi au vendredi de 8h30 à 12h et de 14h à 17h30, dans les plages horaires où le client est généralement indisponible...

Le produit est obsolète, le client pourrait le devenir
Alors que chaque jour on parle de changements radicaux dans le comportement des consommateurs (lire mon interview de Philippe Moati ou mon billet de tendances "le client sera hors champ"), privilégiant l'usage à la possession, alors que chaque jour Internet grandit et devient un formidable réservoir de contenu utile au service du client, les industriels continuent leur marche en avant à l'aveugle.
Les clients deviennent autonomes, ils s'entraident et recherchent des solutions seuls sur la toile, dans des espaces où la marque est absente, muette, complaisante -ou à l'origine- de contenu générant la défiance (cf l'avis de Ciao).
En programmant la fin d'un produit, les marques prennent le risque, lorsque celui-ci rencontre un problème, de perdre le client tout simplement, faute de prendre en considération son problème ou en déléguant à d'autres sa résolution. L'obsolescence programmée du produit provoquerait des dégâts importants sur la fidélité du client, c'est ma conviction.
Devant cette posture rétrograde, je décide de faire payer Bosch pour son manque d'intérêt pour moi en tant que client et j'achète finalement un nouveau sèche linge (comme 680.000 personnes chaque année en France), mais d'une autre marque.

Lueur d'espoir (rapportée par le site Clubic avant hier) : "le gouvernement prévoit l'expérimentation du double affichage des prix pour un même bien, à savoir le prix de vente et le prix d'usage, ce dernier prenant davantage en compte la valeur de l'utilisation d'un bien que de la propriété". Ces tests devraient être menés à partir de 2015, date à laquelle mon nouveau sèche-linge sera peut-être bon à remplacer !

Billet de la catégorie Irritant, écrit par Thierry Spencer sur le Sens du client, le blog des professionnels de la relation client et du marketing client.